salam
L'usage des pronoms personnels dans le Coran renvoie à la science de l'Iltifât, développée par :
- Ibn Al-Athir, al-Jâmi' al-kabîr fi çina'ât al-manzûm min al-kalâm wa-l-manthûr
- Suyuti, al-Ithqân fi 'ulûm al-Qur'ân
- Al-Zarkashi, al-Burhân fi 'ulûm al-Qur'ân
Mais attention, l'iltifat n'est pas une exclusivité du Coran, la poésie arabe en a quelques exemples, le poème d'Imru'l-Qays joue aussi sur ce principe de changements de pronoms.
C'est sur la base du Coran et de cette poésie que Asma'i, selon Baqilânî a posé une définition (cf I'jâz al-qur'ân) comme ensuite Ibn Al-Mu'tazz dans Ma'ânî-l-qur'ân : l'iltifât désigne le passage ce que la linguistique européenne développe au XXème siècle : le passage d'un système de référence à un système d'adresse et vice versa.
Le système de référence désigne l'ensemble des termes permettant de désigner une personne référentielle, c'est une narration. Le système d'adresse désigne l'ensemble des termes qui désignent directement une personne en discours direct.
Exemple :
- "Il est allé au cinéma". "Il" s'intègre au système de référence car il désigne une personne tiers.
- "-Qu'est-ce qu'il veut le monsieur ?". "Il" s'intègre au système d'adresse car c'est un discours direct qui s'adresse directement à la personne. "Il" est ici utilisé à la place de "tu" ou "vous".
Beaucoup d'autres auteurs ont évoqué cette définition du passage d'une narration à un discours d'adresses qui suppose un changement de pronoms personnels : Abu Ubayda, Ibn Qutayba, Al-Zamakhshari... La pluaprt maintiendront que l'iltifât dans le Coran ou dans la poésie, aussi appelée "Shaja'ât al-arabiyya" sert à réhausser l'intérêt de l'auditeur, à créer de la variété plaisante dans un discours, à maintenir la récitation dynamique (cf Al-Zarkashi).
L'iltifat a des conditions d'élaboration :
- Le pronom personnel change mais pas la personne désignée par ce pronom.
- Les deux pronoms personnels devraient toujours être situés dans deux phrases successives mais distinctes. Cependant le Coran ne suit pas toujours cette règle.
L'iltifat dans le Coran suit une logique presque implacable. Par l'aspect répétitif de nombreux versets sur des thèmes bien spécifiques, se répète du même fait l'usage des pronoms personnels à des places stratégiques. Par exemple, si Dieu parle de la punition des pécheurs, ce sera systématiquement le "Nous" qui sera utilisé. L'emphase est sûrement à l'origine de cet emploi. Noter que ni le prophète, ni ses compagnions n'ont utilisé ce pronom pour eux-mêmes (cf les hadîths) et rien ne permet de prouver que ce "nous" a été employé pour désigner les chefs de clan par soumission à leur pouvoir. L'origine de ce "Nous" doit donc être rattaché à l'activité intellectuelle, littéraire et artistique de l'époque et pas un usage moderne qu'on appelle "de majesté".
L'usage de la 3ème personne pour désigner Dieu dans le Coran suit le même ordre d'idées que l'usage de la 1ère personne. L'avènement du monothéisme nécessite d'utiliser des pronoms "personnalisés" comme "Je" ou "Il" qui sont les plus individualisants des pronoms. Mais pourquoi celui qui parle parle de lui à la 3ème personne ? parce que la Révélation a deux fonctions fondamentales : l'enseignement du nom du Dieu unique (voir les dissensions avec le judaïsme qui ne nomme pas) et la mise en place progressive d'un système de prière qu'on appellera ensuite "du'a".
Cela rejoint d'ailleurs l'usage du "Qul" que l'on retrouve à de nombreuses reprises dans le Coran, un ordre directement adressé à l'homme dans son individualité, dans son initmité. En disant directement "Dis", le Coran s'inscrit directement dans le principe d'être consacré à l'exercice d'invocation. La logique voudrai que le prieur ne dise jamais lui-même "qul" dans sa récitation et commence directement sa prière par le contenu de ce qu'il doit dire. mais la sacralité du Coran a empêché que dans les prières, le moindre mot soit retiré. ceci est une pure fabrication liée à la systématisation des lectures et pas une injonction coranique.