| | Langue arabe et sciences modernes (articles) | |
| | Auteur | Message |
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nabuchodonosor Junior
Nombre de messages : 62 Date d'inscription : 08/11/2006
| Sujet: Langue arabe et sciences modernes (articles) Jeu 11 Jan - 14:11 | |
| Bonjour, Merci aux administrateurs d'avoir publié le texte de Nicolas Perron au sujet des traductions de concepts scientifiques européens en langue arabe. En effet, ce texte est précieux dans la mesure où c'est un témoignage direct des conditions de transition et de changements dans le monde musulman au cours du XIXe siècle. C'était une époque de vaste intérêt réciproque entre l'Europe et l'Egypte en particulier. Les gouvernements britanniques et français envoyaient des émissaires explorateurs et Mehmet Ali en faisait de même. Souvenons-nous simplement du témoignage de Riffat At-Tahtawi à son retour des grandes capitales. Cet échange de curiosité se fait toutefois dans le cadre d'un inversement de situation dans la façon dont on perçoit la domination de l'un et l'autre bloc. La France, après l'expédition de 1798, se lance dans la définition d'une connaissance savante de l'Egypte qui en fait une sorte de curiosité dominée. Le Caire de la première moitié du 19ème siècle semble être d'un autre âge et les lettrés, savants et docteurs ne manquent pas de participer à une sorte de rééducation technologique des écoles égyptiennes. A l'inverse, la mission de At-Tahtawi en France lui révèle tout le retard de son pays face aux puissances européennes. Et alors s'amorce ce rapport de dominant-dominé qui fera défaut aux Arabes pendant encore de très nombreuses années, jusqu'aujourd'hui d'ailleurs. Ce texte n'est pas à lire comme une sorte d'offense de Perron vis-à-vis des savants musulmans. Son dédain est d'époque et s'inscrit pleinement dans le sentiment de domination du monde européen sur le monde arabo-musulman. Perron n'est pas un arabophobe, il est au contraire passionné et il s'étonne que les Arabophones puissent être aussi en retard en médecine alors même qu'ils sont les fondateurs de bien des théories et des étblissemants hospitaliers. Son dédain accompagne une réalité historique, l'Empire Ottoman n'est pas à la hauteur de ce qu'il a été et de ce que lui a légué l'âge d'or médiéval. La faute en revient pour lui au conservatisme des religieux, les chuyukhs, qui ont pris tellement de pouvoir dans la société musulmane qu'ils ont bloqué tous les efforts de progrès aussi bien au niveau de la langue qu'au niveau des avancées techniques. Mais gardons en mémoire que Perron est un fieffé républicain, chrétien certes, abonné aux méthodes d'enseignement saint-simoniennes aussi, mais profondément convaincu que la réusiite ne se trouve pas dans un domaine dominé par la religion et qui plus est une religion faussement savante. C'est un reproche toujours existant concernant l'Islam, jusqu'aujourd'hui, le débat n'a pas vraiment évolué à ce niveau-là. La langue est le principal thème de ce texte. Perron évoque en effet la publication d'un ouvrage pédagogique de médecine en langue arabe et les difficultés qu'il a rencontré avec son collègue arabe pour trouver les termes de traduction adéquants. Le problème qu'il soulève est fondamental et peut-être qu'un linguiste pourra nous apporter quelques éléments de réflexion à ce sujet. Le statut du concept de langue fait en effet toute la différence selon qu'on le place au centre des analyses ou en périphérie. Perron reproche aux chouyoukhs de ne pas se montrer assez ouverts à l'expansion du langage pour accueillir de nouveaux termes. Cela rappelle les difficultés qu'Ibn Khaldun avait lui-même rencontré pour nommer ses concepts "sociologiques" dans un temps trop précoce pour les faire exister. Enfin, voilà jetées en vrac quelques idées qui se sont greffées à la lecture de ce texte très intéressant et très susceptible de créer un vrai débat théorique sur les rapports de domination autres que politique entre l'Europe et l'Empire Ottoman. | |
| | | LYDIA Junior
Nombre de messages : 66 Date d'inscription : 10/11/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Ven 12 Jan - 17:01 | |
| Salam
Incontournable sujet le rapport d'inversion du statut de domination entre l'Europe et le Moyen-Orient et une vaste étude sur le plan linguistique s'impose. Contrairement à ce qu'on pense, la création de termes arabes consonnancés sur la langue française est très peu répandue. Un physicien a fait sa thèse là-dessus justement, il montrait que c'était un a-priori cette question de translation littérale. Mais plus loin que ça, se pose la question de comment les termes des sciences modernes ont gagné le monde musulman et pourquoi. Domination par la langue ? Pas tellement. Je vais revenir sur ce sujet le manque de temps. Ok ? | |
| | | LYDIA Junior
Nombre de messages : 66 Date d'inscription : 10/11/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Sam 13 Jan - 1:29 | |
| Salam - Citation :
- La faute en revient pour lui au conservatisme des religieux, les chuyukhs, qui ont pris tellement de pouvoir dans la société musulmane qu'ils ont bloqué tous les efforts de progrès aussi bien au niveau de la langue qu'au niveau des avancées techniques.
Il faudrait faire un état de la question sur l'évolution de la langue arabe au XIXème siècle et sur la pénétration des savoirs modernes occidentaux dans la culture savante égyptienne. Comme je le disais plus haut, un physicien s'en est chargé dans sa thèse puis dans des ouvrages de référence. Il s'agit de Pascal Crozet. Il a procédé à une étude comparative entre les pénétrations dans le monde japonais et les pénétrations dans le monde égyptien. Cette étude a consisté à l'analyse de deux problématiques : De quelle manière les Etats indépendants d'Egypte et du Japon ont procédé à une récupération des savoirs modernes occidentaux en vue de concurrencer l'Occident sur son propre terrain et de quelle manière ces nouveaux savoirs se sont-ils intégrées dans une culture savante ancienne et cependant toujours très fortement ancrée dans l'enseignement pédagogique. Référence : Transmission des sciences et des techniques dans une perspective interculturelle (XIXème siècle) : étude comparative Egypte / Japon etcRetenons que Mohammad Abduh, à la toute fin du XIXème siècle a confirmé sans les connaître les assertions de Nicolas Perron en reconnaissant explicitement la vétusté des enseignements en Egypte et la nécessité de réformer en profondeur les systèmes en accpetant la confrontation avec les données savantes occidentales. Ici, la question de domination ne se posent plus seulement en terme de dominants et dominés mais en terme de luttes internes sur le terrain des savoirs scientifiques en vue de gagner ou de récupérer une légitimité savante. Retenons aussi les évolutions de ce mode de pensée au XXème siècle qui ont amené à une utilisation plus radicale de l'acquisition de ces savoirs modernes (les nouvelles technologies) par les groupes issus du salafisme moderne. | |
| | | nabuchodonosor Junior
Nombre de messages : 62 Date d'inscription : 08/11/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Jeu 18 Jan - 18:21 | |
| Bonjour,
Merci Lydia pour ces précisions. Je tachaerai de faire un découpage d'analyse du texte de Perron afin que nous puissions avancer dans le débat. | |
| | | Qantara Junior
Nombre de messages : 85 Date d'inscription : 30/12/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Sam 3 Fév - 15:18 | |
| Salamou alaykoum
Merci pour ce débat très intéressant. Alors que Nabuchodonosor soulève le rapport historique de la question des pénétrations scientifiques entre le monde moderne européen et le monde classique musulman, Lydia propose un rapport linguistique qui suppose l'existence d'a-prioris sur la façon dont on aborde ces pénétrations. Pour elle, et pour moi, le plus intéressant, ce sont les conséquences de ces pénétrations sur le monde actuel et la récupération de ces modèles concurrentiels par les groupes islamistes.
Ma question va donc être très simple : comment les islamistes de notre temps ont-ils récupéré à leur compte les motivations des scientifiques européens du XIXème siècle, par quels processus historiques, linguistiques y sont-ils parvenus ? | |
| | | Qantara Junior
Nombre de messages : 85 Date d'inscription : 30/12/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Mar 13 Fév - 0:27 | |
| Salamou alaykoum
Nabuchodonosor, Lydia, vous êtes très occupés, c'est vrai, vos thèses mes pauvres enfants, mais vous avez tout à gagner à finir ce sujet, alors s'il vous plaît, continuons. | |
| | | nabuchodonosor Junior
Nombre de messages : 62 Date d'inscription : 08/11/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Mar 13 Fév - 17:48 | |
| Bonjour
Ne te fais pas tant de soucis Qantara, le sujet n'est pas clos. Il faut trouver de la disponibilité en cette fin de semestre, voilà tout.
A propos, ce soir, conférence avec Françaois Puillon dans l'amphithéâtre de l'EHESS, 105 Boulevard Raspail : Relecture de l'Orientalisme. Pour ceux que ça intéresse, qui sait, on pourrait se voir et en discuter. Rendez-vous à 19h. | |
| | | Qantara Junior
Nombre de messages : 85 Date d'inscription : 30/12/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Ven 16 Fév - 14:15 | |
| Salamou alaykoum
J'aime bien Pouillon, grand bonhomme, très théorique, trop peut-être, accusé à tort et à travers de vouloir réhabiliter la mémoire colonialiste, pff ! Bon, dis-moi, lui as-tu parlé de Perron ? | |
| | | nabuchodonosor Junior
Nombre de messages : 62 Date d'inscription : 08/11/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Lun 19 Fév - 3:25 | |
| Bonsoir Non, je n'ai pas eu le temps de discuter avec lui ni de ce sujet ni d'un autre mais à la prochaine rencontre... Mais on va arrêter de dévier. Je n'ai pas encore réalisé l'analyse descriptive du texte de Perron, à cause de mes travaux, je suis un peu en retard... Je vais profiter des "vacances" pour la faire. - Citation :
- comment les islamistes de notre temps ont-ils récupéré à leur compte les motivations des scientifiques européens du XIXème siècle, par quels processus historiques, linguistiques y sont-ils parvenus ?
La référence citée par Lydia est excellente, on peut s'y référer pour répondre à la question et évoquer du coup le processus de littérature émergente dans les sociétés occupées ou colonisées, en tout cas dominées politiquement et intellectuellement. La littérature émergente a eu une double-fonction : donner un nouveau souffle aux procédés littéraires et poéticiens d'un côté et réaffirmer les potentialités intellectuelles des autochtones face aux dominants. Cette double-fonction laissent apparaître deux domaines d'application : la littérature et la politique. Les exemples ne manquent pas, de Taha Hussein à Hassan Al-Banna, en Egypte, nous sommes en présence de personnalités qui se servent de leurs acquis pédagogiques pour développer un art de la théorique et de la rhéthorique et qui font émerger un rapport nouveau à la religion, dans un sens et dans un autre : dans le sens d'une adhésion à la philosophie et la littérature du dominant dans le cas de Taha Hussein ; dans le sens d'un rejet de la philosophie et de la littérature dans le cas de Hassan al-Banna. Mais tout en s'opposant, ces deux hommes appartiennent au même courant de cette littérature émergente égyptienne qui instrumentalise positivement ou négativement les influences européennes sur les système de penser et d'écrire nationaux. Ainsi, les islamistes, qui arrivent plus tradivement, n'ont pas directement récupéré l'héritage savant européen du 19ème siècle dont ont bénéficié Hussein et Al-Banna -à des échelles scolaires tout à fait différentes car Al-Banna n'a jamais connu l'université contrairement à Hussein. Ils ont récupéré les traces profondes de cette littérature émergente et ils ont tout bonnement choisi leur camp entre les voies qui s'offraient à eux, celle d'une défense plus accrue des principes du réformisme musulman. L'instrumentalisation de la technique européenne n'est apparue qu'en filigrane dans des discours idéologiques radicalisant la pensée d'Al-Banna, de Ridha et d'autres. La différence fondamentale entre les réformistes et les islamistes reposent sur leur lieu de formation : les premiers sont formés dans les écoles nationales du pays, voire les universités et les mosquées ; les seconds sont formés dans les écoles étrangères "ennemies". Si bien qu'ils combinent à la fois l'héritage de la littérature émergente et l'héritage direct des enseignements qu'ils reçoivent directement. La pensée de personnages comme Perron leur est tout à fait étrangère. Je ne sais si j'ai répondu à la question, tu me diras ce que tu en penses. | |
| | | Qantara Junior
Nombre de messages : 85 Date d'inscription : 30/12/2006
| Sujet: Re: Langue arabe et sciences modernes (articles) Mar 20 Fév - 14:00 | |
| Salamou alaykoum
Ce que j'en pense, c'est une bonne analyse, on rencontre pas souvent des gens qui mettent sur un pied d'égalité de traitement Taha Hussein et Hassan Al-Banna, deux personnages foncièrement différents, opposés idéologiquement et surement aussi religieusement mais en effet issus de la même génération d'Egyptiens qui assistent à la désagrégation de l'Empire Ottoman, à la mise en place des protectorats et qui sont tous les deux baignés dans un milieu fortement occidentalisé, Al-Banna ayant vécu à Ismailiyya, un fief de l'Occident en Egypte. Donc, c'est intéressant cette mise en parallèle, pas de leurs parcours politiques en tant que tel mais de leur héritage qui est identique, tous deux ayant connu la grande institution d'Al-Azhar et ayant eu, à quelques années près, la chance ou la malchance de connaître les effets du réformisme de Abduh, étant tous les deux originaires de la Province et découvrant "avec les mêmes yeux" Le Caire, la capitale.
Donc, oui il y a des choses à pousser, à aller chercher dans les trajctoires initiales de ces deux hommes et il y a des choses à comprendre dans le choix qui a été fait par les suivants vers l'un ou vers l'autre, vers un courant religieux réformiste ou vers un courant religieux modéré. Là-dessus, tu as sans doute des choses à nous dire encore. Parce que dire que la différence entre les islamistes et les réformistes, c'est le lieu de formation, c'est un peu réducteur tu ne crois pas ? | |
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