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 Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?

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Abd95
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Abd95


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MessageSujet: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyVen 8 Déc - 2:17

Salam aleykum

Egalitarisme et despotisme

Cette courte réflexion a pour but d'examiner une hypothèse très osée. L'égalitarisme prôné par l'Islam n'a-t-il pas été à la fois l'une des causes majeures du caractère despotique de nombreux Etats musulmans à travers l'histoire et aussi l'une des raisons de la rigidité de la Loi religieuse dans ces pays ?

Chacun sait que l'Islam est une religion extrêmement égalitaire. Le message coranique a été très clair sur sa condamnation des errements de la 'asabiya, c'est-à-dire de l'esprit tribal et de la morgue aristocratique qui en résultait. Face à Dieu, Unique et sans associé, les Croyants sont tous identiquement des Créatures placées au même rang d'insignifiance. Ne se distinguent des autres que ceux qui, parmi les Croyants, se surpassent dans la piété et les bonnes œuvres car le "plus noble d'entre-vous, auprès d'Allah, est le plus pieux" (49:13). Cet égalitarisme, aussi contrarié qu'il ait pu être par les souverains ou les savants, soucieux de hiérarchie et de préséance, est toujours demeuré à la base de l'attitude du musulman en tant qu'être social et politique.

Et cela, on l'observe dès les premiers temps de l'Islam. Ainsi les résistances en face des prétentions califales ont-elles pris très tôt une ampleur dramatique. C'est d'ailleurs ce qui va être à l'origine, dès 658, du premier schisme de l'Islam, le kharidjisme, dont les tenants estiment notamment que n'importe quel croyant, fut-il un esclave, est digne de revêtir le titre d'amir al-mu'minin dès lors qu'il en a les qualités requises. De même, les plus anciens Compagnons, Abu Dahr, Ibn Mas'ud, ont pu apparaître à une époque comme les tenants d'une ligne ultra égalitariste héritée des origines mêmes de la Révélation. Face à eux, Mu'awiya s'est présenté, moins comme le héros d'un retour en force de l'esprit tribal, que comme un pragmatique, dont le message était en quelque sorte ; "certes, il faut que les uns commandent et que les autres obéissent, il faut une armée de métier pour lutter contre les Byzantins, il faut un trésor plein pour payer les fonctionnaires, il faut des impôts pour réparer les routes, il faut que le souverain puisse prendre des décisions urgentes sans parlementer systématiquement avec une shura de barbes blanches pendant quinze jours à propos de la moindre peccadille, et par-dessus tout il faut qu'une dynastie de se mette en place si l'on ne veut pas qu'à chaque succession une guerre civile n'éclate qui vienne remettre en cause tout ce qui a été fait".

C'est pour cela que les souverains omeyyades et abbassides et tous les autres à leur suite ont tout fait pour se présenter, non comme de simples mortels, mais comme les représentants de Dieu et les lieutenants du Prophète (sws), c'est-à-dire en fait comme des hommes dont la personne était sacrée et les décisions, par conséquent, irrévocables. Ils ont trouvé des savants complaisants pour appuyer ces dires et d'autres, plus sages, pour prôner l'obéissance et la patience en face de la tyrannie plutôt que la révolte. Afin de rendre leurs personnes en quelque sorte "taboue", les califes ont également cherché très tôt à s'entourer d'un certain décorum, d'un cérémonial aulique raffiné hérité de celui empereurs byzantins et perses. Ils se sont mis à porter sceptre et couronnes, ils ont cessé d'apparaître en public ou de prendre la tête de leur troupe. Bien avant eux, les empereurs Auguste puis Dioclétien avaient agit de même, ils avaient sacraliser leur personne et leur autorité dans l'espoir de mettre fin à l'anarchie militaire qui avait failli entraîner Rome dans la ruine. Plusieurs siècles plus tôt, c'est le même objectif qui avait amené Ptolémée II a fonder un culte royal autour de sa propre "divinité".

Mais, sauf de rares exceptions, cela n'a pas fonctionné en Terre d'Islam, tout simplement parce que la religion s'y oppose absolument. Le fait même que l'on ait prêché pendant des siècles la passivité devant les tyrans (taghut) plutôt que la révolte prouve bien que ces conseils n'ont jamais été suivis des faits. Et ainsi, très paradoxalement, en s'appuyant sur la religion afin de renforcer leur autorité, les souverains musulmans sapaient les conditions même qui permettaient à celle-ci de s'exprimer dans toute sa force. On ne gouverne pas un musulman comme on gouverne un païen. Ce dernier peut accepter, dans une certaine mesure, que son souverain soit un dieu, ou un demi-dieu, car la divinité n'est pas pour lui quelque chose d'absolument majestueux et transcendant mais bien plutôt une espèce de "force" immanente dont on peut espérer participer soi-même, que l'on peut espérer "capter" d'une façon ou d'une autre. Et ceci, un Chrétien (à l'époque) pouvait également le concevoir. La notion de "saint-esprit", troisième socle du dogme trinitaire ouvre la possibilité à ce qu'un homme ou une institution, dès lors qu'elle en est revêtu, puisse en être réellement magnifiée (ainsi de l'Eglise). Mais pour un musulman, une telle vision des choses reste inconcevable. Un homme demeure un homme, quoi qu'il puisse affirmer, il reste un homme avec ses qualités et ses défauts, et lorsque ces derniers l'emportent sur les premiers il perd tout droit à exercer légitimement ses fonctions. Voilà pourquoi celui qui parcourt les chroniques des grands historiens musulmans de l'époque médiévale ne cesse de s'étonner, il n'y a quasiment pas une année ou un prétendant au califat ne se déclare ici où là, en Perse, en Irak, en Syrie. A ce volontaire courageux (car une mort certaine l'attend s'il échoue) il suffit simplement de rallier quelques soutiens tribaux et le voilà parti à l'assaut du pouvoir. Plusieurs règnes, à l'instar de celui de l'abbasside al-Mansur (754-775) ont été particulièrement riches en la matière. A la même époque, Charlemagne pouvait se dire malheureux si en quarante ans de pouvoir il avait dû faire face à une demie dizaine de rébellions. Al-Mansur devait lutter contre deux ou trois rébellions par an ! Et tandis qu'en Occident un simple benêt pouvait porter la couronne des décennies durant, protégé par son statut et le prestige de sa dynastie, en Orient le moindre vice-gouverneur devait déployer des trésors d'habileté pour conserver sa place. Voilà pourquoi peu de dynasties musulmanes ont pu dépasser trois ou quatre générations car le sens politique n'est pas un don héréditaire. Tout au plus certaines lignées ont pu se survivre un peu plus longtemps en confiant leur destinée à une famille de vizirs compétents (tels les Fatimides) mais cela ne faisait en définitive que repousser une échéance quasi inéluctable.

L'idée la plus répandue dans les pays de civilisation islamique est donc que le pouvoir est toujours à prendre, qu'il n'est jamais la possession légitime de quelqu'un. Car de fait, la "royauté des cieux et de la terre n'appartient qu'à Dieu" (XXV, 2). Le souverain n'en est que le dépositaire très partiel ... et tout à fait temporaire.

La conséquence de tout cela bien évidemment, ce n'est rien d'autre qu'un despotisme accrû de la part du pouvoir. A force de lutter contre des rebellions continuelles, le souverain finit par se croire (souvent à juste titre) entouré d'ennemis potentiels. Dès lors il se retranche derrière l'armée, seule institution capable de le défendre, et puis dans un second temps, afin de se protéger de cette même armée devenue bientôt suspecte, il suscite en son sein une garde prétorienne qui lui est personnellement dévouée. Enfin, dans l'espoir de se protéger de cette dernière il doit entreprendre de la purger régulièrement de tous ses éléments douteux, généralement en faisant assassiner ses chefs à un rythme de plus en plus soutenu. Le résultat ne se fait guère attendre et ce révèle être l'inverse de celui qui été attendu. Effectivement, plutôt que de se laisser mener à l'abattoir, les chefs de ces gardes (les ghulam) préfèrent au final frapper les premiers et s'emparer du pouvoir. En quelques lignes on vient de résumer l'histoire tragique des dynasties abbassides et ayyûbides, qui toutes deux se sont achevées par des révoltes militaires. Bien évidemment le processus ne s'est pas arrêté-là et les dynasties qui les ont remplacé n'ont pas tardé à agir de la même façon. Combien de souverains mamluks sont morts dans leur lit ? Combien de Bey de Tunis ou d'Alger ont coulé des jours heureux ? Ils ont été bien rares, et plus rares encore ceux qui ont réussi à transmettre le pouvoir à leur fils. Le sultan donnait l'exemple, comment ailleurs qu'à Istanbul aurait-on pu décréter cette atroce coutume du fratricide qui autorisait le plus prompt des fils du défunt souverain à faire exécuter tous ses frères en payant les soldats de la capitale avec l'argent du Trésor dont il venait de s'emparer au pied levé ? On en est venu là, non par cruauté mais par "réalisme", voilà près d'un siècle que chaque succession engendrait systématiquement l'éclatement de l'empire.

Or, cette instabilité chronique du pouvoir en terre d'Islam a été l'une des causes les plus importantes des graves difficultés économiques souvent rencontrées par les pays relevant de son "aire civilisationnelle". Comment prévoir, lorsque l'on est un marchand par exemple, un investissement à long terme si personne ne sait si le souverain du matin sera celui du soir ? Comment mettre sa fortune à l'abri lorsque chaque prétendant est à l'affût du moindre sou afin de payer cette milice dont il ne peut se passer mais dont les demandes financières l'étranglent ? De surcroît, un souverain qui n'a d'autre but que de survivre, n'a pas d'autre alternative que de renforcer partout et toujours plus son contrôle sur la société, en maintenant un réseau d'espionnage et en faisant exécuter les suspects à la moindre incartade (pléthore de ministres ont eu la tête tranchée un jour qui étaient encore touts puissants la veille). Or, une société contrôlée et soumise à l'arbitraire d'un homme ou d'un clan est une société qui ne progresse pas, et une société qui ne progresse pas entre nécessairement en décadence. Le cycle est lancé. On peut dire que dans certains pays il ne s'est jamais vraiment arrêté, la Somalie, le Tchad et l'Afghanistan contemporains en sont des exemples particulièrement criants. La vie politique post-coloniale pourrait s'y résumer au proverbe populaire "un clou chasse l'autre", en sachant qu'à chaque fois, le clou demeuré le plus longtemps est aussi celui qui s'est enfoncé le plus profondément, et qui donc, a le plus endommagé la société civile.

Mais cette dialectique entre l'égalitarisme et le despotisme dont a cherché à démontrer ici l'existence et les conséquences directes a également eu un autre effet important, un effet législatif. Car les sociétés en question ne sont pas restées entièrement passives confrontées qu'elles étaient au défi d'un pouvoir despotique, en fait, elles ont même souvent trouvé un moyen très sûr de lutter contre lui ou plutôt de le paralyser. Ce moyen, il faut bien se l'avouer, c'était la loi religieuse, la shari'a. En effet, même au sein d'un système politique et social où l'absolutisme du pouvoir royal est quasiment sans limite théorique, ce pouvoir ne peut outrepasser les limites d'une loi religieuse qui est par essence intemporelle et intangible, du moins tant que celle-ci conserve toute sa force coercitive. Pratiquement, si la shari'a est scrupuleuse, si elle est la même pour tous et si elle est appliquée avec la même rigueur, bref, si elle est la plus redoutable possible, alors justement on n'a plus qu'elle a redouter, et dès lors, on a moins à craindre du bon plaisir du souverain. Pratiquement, cela signifie que l'on aura pas à craindre de taxations non-canoniques car le musulman ne paie que la zakat, que l'on aura pas à se soucier pour le sort de ses biens placés en wakf car ils resteront inaliénables, que l'on aura pas à craindre le jugement du kadi qui juge au nom de la loi et non en celui du souverain. Ce n'est pas un hasard, mais une conséquence directe de ce principe si les tenants les plus strictes de la loi religieuse ont toujours été, aussi, les plus grands adversaires du despotisme impérial, qu'il s'agisse de Ahmad ibn Hanbal sous les Abbassides ou d'Ibn Taymiyya à l'époque mamluk. Ce n'est pas un hasard si les régimes les plus despotiques ont appuyé les écoles de droit qui laissaient le plus de place à l'interprétation (et notamment le hanafisme). Contrairement à ce que pourrait faire penser une vision simpliste de l'histoire, c'est bien la shari'a qui préservait de la tyrannie, et c'est peut-être ce qui explique son caractère souvent monolithique et littéraliste, caractère que l'on a trop souvent mis sur le compte de l'esprit obtus de ceux qui étaient chargés de l'interpréter ou de la faire appliquer. Cela se vérifie de façon flagrante lorsque l'on se penche de près sur l'histoire des Etats musulmans. C'est dans les lieux où elle était la plus stricte que l'égalitarisme était le plus fort mais aussi que l'Etat était le plus faible, par exemple en Arabie centrale. A l'inverse, là où les sultans avaient à leur service des docteurs de la Loi conciliants, capables de leur servir la bonne fatwa au bon moment pour légitimer leurs décisions politiques, et bien on trouvait aussi les sociétés les plus hiérarchisées et l'arbitraire du souverain n'avait alors quasiment aucune limite, ainsi dans l'Empire ottoman au 17e siècle par exemple.

Mais puisque l'on parle de l'Islam, pourquoi ne dirait-on pas qu'un pareil phénomène n'a rien de typiquement musulman ? Mutatis mutandis, l'opposition entre Jésuites et Jansénistes ne tenait-elle pas à cela aussi ? Le refus de la casuistique jésuitique par Pascal et son goût immodéré de la loi religieuse la plus stricte était son rempart à lui contre l'absolutisme de la Cour (papale ou royale) auquel les Jésuites s'identifiaient.

Et certes, Dieu sait mieux.
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyMer 3 Jan - 19:42

Salaam

Riche, Dense et Excellent ce texte. Si c'est le tient frere Abd alors chapeau bien bas !! Je suis réellement impressionné par sa fraicheure et sa pertinence. La remarque sur la nature instable du pouvoir et la pratique economique est trés juste.

Je suis tenté d'adherer a l'analyse sur la shari3a mais j'ai des réticences. Je continue a penser que les qadis et les juristes ne s'etaient jamais vraiment mélé du fait du prince. Le discours et la production de ces 'oulama en terme de Fatwa s'arretant en quelque sorte au seuil du palais. On retrouve des milliers de livres sur les sujets les plus futils des transactions ou les actes humains mais exeptionnellement sur ce qui a trait au pouvoir, ses institutions, a ses limites ou son renouvellement. Quand le palais sévissait contre un 'alam c'est toujours (au vu du peut que j'en sait) pour des sujets qui ne concernent pas le pouvoir directement ou sa légitimité ou son mode de fonctionnement.

Mais la lecture que tu présente est trés intéressante et ce qui ne gate rien se base sur des exemples et précédents historique.

Reflexion faite je croit que ma reserve n'en est pas vraiment une si on a une vision moins simple des choses.
En fait on peut aisement imaginer ces juristes comme des personnes qui prennent acte (raisonnablement) des limites a ne pas dépasser dans leur discours (le seuil du palais). Et en meme temps du fait de cette frustration etre farouchement Conservateur de leur prait carré, leur Champ : les mou3amalaat et les 3ibadaat chez la plebe.

Merci encore pour cet exellent texte.

Salaam
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Haz
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Haz


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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyJeu 4 Jan - 0:09

Salam alikoum

En effet, le texte est très intéressant, on y retrouve une structure théorique khaldunienne avec un Etat qui se fortifie et s'affaiblit par la relation paradoxale qu'il entretient avec ses alliés / ennemis. La nouveauté est cette dernière partie sur la shari'a sur laquelle Itinérant revient. La relation dialectique entre Etat et Shari'a serait donc la suivante :

1- Plus la Shari'a est "laxiste" (au sens où elle s'ouvre à la souplesse interprétative), plus le pouvoir exercé par le Chef d'Etat est arbitraire et tyrannique.
2- Plus la shari'a est rigoriste, plus ce pouvoir est limité.

Donc mes questions sont les suivantes :

1- Dans quels cas historiques cela se vérifie-t-il ?
2- Comment expliquer que la tyrannie des chefs arabo-musulmans se vérifient aussi bien dans la période médiévale où la loi islamique que dans la période contemporaine où la loi islamique a souvent été remise en question par les codes pénaux occidentalisés.
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Abd95
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyVen 19 Jan - 18:18

Haz a écrit:

1- Dans quels cas historiques cela se vérifie-t-il ?

As salam aleykum

Merci pour vos réponses ...

En fait, je pense que cette dialectique se vérifie de façon quasi systématique ...

Déjà dans la fameuse controverse qui aboutit à la première fitna, rappelons-nous les reproches de Abu Dhar contre les gouverneurs qui conservaient l'argent de la zakat au lieu de le redistribuer entièrement ... dans ce refus, le motif religieux (agir comme le Prophète sws) rejoignait le motif politique (empêcher que le pouvoir ne s'autonomise par rapport au consensus)

Plus tard, les plus rigoristes des Kharidjites (les Azarakites par exemple), étaient à la fois les plus strictes sur l'interprétation de la loi et des peines à appliquer, et les plus libres quant aux principes d'élection et de consultation (cette double tradition puritano/libérale s'est retrouvé dans le zaydisme yéménite et le ibadisme omanais)

Plus tard encore, dans la résistance des théologiens littéralistes contre les empiètements du calife al-Mam'un, il y a une vraie dimension politique, il faut empêcher le calife de s'arroger un droit qui ne lui appartient pas, celui de dire le dogme. Idem dans la résistance des théologiens hanbalites face au principe du hiyal (utilisé par les hanafites) qui permet de justifier tout et n'importe quoi. Je pense qu'une telle démarche est aussi présente en filigrane dans le ralliement de Ibn Hazm au zahirisme.

Enfin, on retrouve une certaine conception de ce genre dans l'interprétation d'Ibn Taymiyya, qui est prêt à tout sacrifier dans son opposition au pouvoir politique au nom d'une interprétation stricte du corpus religieux. Idem dans le refus de l'imam Nawawi d'accepter des prélèvements fiscaux non canoniques, il le fait certes au nom de la Tradition, mais dans les faits, il agit en défenseur des droits du peuple. Le wahhabisme fut aussi un moyen pour les gens des oasis du Nadjd d'abolir toutes les taxes non canoniques.

Finalement, à l'époque contemporaine, cette ambivalence est plus que jamais présente, c'est elle qui fait des jihadistes à la fois des éléments ultra-conservateurs et, dans le même temps, des éléments révolutionnaires qui ne cessent de s'opposer à la domination d'autorités jugées illégitimes.

Ce paradoxe est donc central dans l'histoire musulmane, qu'il traverse de part en part ...

Haz a écrit:

2- Comment expliquer que la tyrannie des chefs arabo-musulmans se vérifient aussi bien dans la période médiévale où la loi islamique que dans la période contemporaine où la loi islamique a souvent été remise en question par les codes pénaux occidentalisés.

Parce que justement, comme j'ai essayé de le dire, cette tyrannie n'existait au Moyen-Âge que dans les espaces politiques ou la tradition religieuse (shari'ah) ou coutumière (urf) était la moins prégnante, ou en tout cas, la plus maléable ...

De même, à l'époque contemporaine, être un tenant du modernisme n'a pas toujours été synonyme d'être partisan de la démocratie, bien au contraire. Et ainsi, paradoxalement, c'est le kémalisme qui a détruit les chrétientés turques, non l'ottomanisme. C'est le baathisme qui a enrégimenté tous les corps de la population arabe, non le salafisme ... Tout simplement parce que dans le salafisme il y a une dimension égalitaire et libertaire, certes difficile à cerner au premier regard, mais néanmoins (et peut-être justement à cause de cela) extrêmement forte ...
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Qantara
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyMar 30 Jan - 19:20

Salamou alaykoum

L'analyse s'inscrit dans un dialogisme intéressant, sans aucun doute, mais trop tranché pour être symboliquement et historiquement efficace. La charia n'est pas la source exécutive unique de l'histoire de la pensée islamique. Son pendant, son parralèle, c'est la haqiqa, la connaissance de la réalité par la voie initiatique que, par formalisme religieux, on enferme dans le domaine du soufisme. Mais en réalité, la haqiqa est aussi une source exécutive tout comme la charia, de la loi apportée par le Coran. Et ces deux sources cohabitent dans les sociétés musulmanes, plus fortement il est vrai au cours de la période médiévale et de la période moderne qu'aujourd'hui.

L'effet de balance imposé par la première analyse de Abd95 peut éventuellement s'appliquer aux relations entre l'Etat et la charia, cela est moins évident en parlant de la haqiqa et notamment lorsque l'on situe notre affaire au Maghreb, plus précisément au Maroc. La Haqiqa impose l'autorité des saints et des marabouts face à la Justice mais jamais elle ne confisque à cette Justice sa prédominance étatique. Aussi, la puissance alaouite s'explique par la conjugaison symbolique du Makhzen et de la Haqiqa, celle-ci garantissant au premier sa légitimité politique, de par sa vocation à hiérarchiser chaque pendant de la société et tendant à reconnaître le légitimité du Saint dans le Sultan. La charia n'est pas affaibli, elle reste présente, appliquée mais elle est dépassée par cette autre source, voire même régulée de façon à créer une synthèse entre un pouvoir terrestre fort et un pouvoir spirituel sage.

Je veux bien croire que tout cela est compliqué, cependant, réfléchissez-y un tantinet et tentez de revoir ce rapport dialogique initialement présenté dans le contexte cette fois d'un triptyque faisant surgir un Etat face à deux sources religieuses exécutives...
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Haz
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyJeu 1 Fév - 19:12

Salam alikoum

Up up up !
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Abd95
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyVen 2 Fév - 18:24

Salam

Je suis tout à fait d'accord pour reconnaître la haqiqa comme un facteur important dans notre affaire. En un sens on peut dire qu'elle atténue la frontalité de l'opposition sharia-siyasa (loi religieuse/expédients politiques)

Mais le soufisme n'a pas eu toujours le même impact que dans le Maroc moderne, il était notoirement faible au cours des deux premiers siècles de l'Hégire (l'époque ou justement est né le fikh) ... tandis que dans la péninsule arabique il est resté quantité négligeable jusqu'à nos jours.

Par rapport à l'hypothèse initiale, je voudrais citer ici une phrase l'imam Shafi'i, cité par Joseph Schacht *

"Une tradition du prophète (sws) doit être acceptée dès qu'elle est connue, même si elle n'est pas appuyée par un acte correspondant du calife. S'il y a eu un acte du calife et si une tradition venant du Prophète (sws) est connue ultérieurement et contredit cet acte, l'acte doit être écarté en faveur de la tradition du prophète (sws)"

L'essence du problème est ici résumée en quelques lignes ... plus le précédent prophétique est fort, plus les espaces d'interprétation sont faibles, et plus le pouvoir temporel (siyasa) est limité dans ses prérogatives et dans son action. Dans certains cas, le pouvoir finit par disparaître entièrement ou presque, la loi se suffisant à elle-même (ainsi dans les sociétés les plus archaïques, en particulier nomades). A l'inverse, plus l'Etat est fort, plus la loi est aisément contournable ...

On sait qu'Ibn al-Muqaffa, grand vizir des premiers abbassides aurait voulu créer un code de lois unique pour tout l'Empire, sur le modèle de ce qui s'était fait dans la tradition sassanide, ou byzantine. Cela fut impossible en Terre d'islam (du moins jusqu'aux Ottomans) ...

* Schact, Joseph : Introduction au droit islamique, Maisonneuve & Laroche, Paris, 1999 (p. 51).
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptySam 3 Fév - 15:42

Salamou alaykoum

Un premier point sur la façon dont tu transfères de façon peut-être inconsciente le concept de Haqiqa dans le soufisme. Je disais plus haut que ce transfert (inconscient) était dû au formalisme religieux. Nous voici en présence ici d'une belle démonstration. La Haqiqa, ce n'est pas le soufisme, de même que la charia, ce n'est pas le fiqh. Charia et Haqiqa sont des sources, Fiqh et Soufisme sont des domaines d'exploitation. Les premiers sont des contenus, les seconds des contenants. Et le travail du formalisme religieux a été de faire croire à tous que les seuls contenants possibles de ces deux sources, c'était ces deux domaines d'exploitation. Pour imager le désastre, conçois donc que c'est comme si l'on t'annonçait que l'eau à boire ne peut être contenue que dans un verre, et pas dans une bouteille, ni dans une gourde, surtout pas dans une assiette.

En réalité, Charia et Haqiqa enveloppent toute la sphère exécutive du pouvoir terrestre, au-delà de la normalisation par le Fiqh en tant que Jurisprudence, au-delà de la normalisation par le Tassawuf en tant que vecteur initiatique de la Sagesse. Cela signifie que la Charia et la Haqiqa sont inséparables, même pas opposées, totalement inséparables et ce depuis que l'Islam est Islam. Le Prophète commandait avec ces deux sources, qui se sont construites avec le temps, bien sûr, mais qui sont d'abord innées en lui et qui ont définissent son système religieux.

Alors, Schacht, ce bon vieux Schacht, c'est une bonne chose de le citer entrain de citer celui-là même qui a imposé les prémices, si ce n'est plus, de notre affaire du contenu au contenant exclusif, l'imam Shafi'i. Se référer au père du formalisme musulman pour expliquer l'opposition entre pouvoir par la religion et pouvoir par l'homme, c'est certes nécessaire mais c'est surtout à déconstruire et à critiquer.

Je te laisse déjà réfléchir à cela, voir si éventuellement tu as des choses à en redire, et en fonction de cela, je te dirai ce qu'il en est pour moi.
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Abd95
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptySam 3 Fév - 21:53

Qantara a écrit:
Salamou alaykoum

Un premier point sur la façon dont tu transfères de façon peut-être inconsciente le concept de Haqiqa dans le soufisme. Je disais plus haut que ce transfert (inconscient) était dû au formalisme religieux. Nous voici en présence ici d'une belle démonstration. La Haqiqa, ce n'est pas le soufisme, de même que la charia, ce n'est pas le fiqh. Charia et Haqiqa sont des sources, Fiqh et Soufisme sont des domaines d'exploitation. Les premiers sont des contenus, les seconds des contenants

Je te rejoins tout à fait sur ta critique d'un certain formalisme religieux (et non du formalisme en tant que tel car c'est un impondérable, ce qui est problématique c'est son excès, ou son dogmatisme) mais j'avoue qu'en ce qui concerne l'importance de la haqiqa je ne me sens pas assez calé ni pour te contredire ni pour te conforter ...
Si tu as des listes d'ouvrages sur le sujet, je suis très interressé ...

Citation :
Alors, Schacht, ce bon vieux Schacht, c'est une bonne chose de le citer entrain de citer celui-là même qui a imposé les prémices, si ce n'est plus, de notre affaire du contenu au contenant exclusif, l'imam Shafi'i. Se référer au père du formalisme musulman pour expliquer l'opposition entre pouvoir par la religion et pouvoir par l'homme, c'est certes nécessaire mais c'est surtout à déconstruire et à critiquer

Non, à mon sens, la question ne se pose pas en ces termes (pouvoir par la religion et pouvoir par l'homme) mais comme une opposition entre un ultra-conservatisme qui se fait paradoxalement l'avocat de la défense des libertés individuelles et une ouverture, une flexibilité qui ouvre la porte, en l'absence de contre-pouvoir, à un despotisme toujours plus accru ...

Salam
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptySam 3 Fév - 22:18

Salamou alaykoum

Citation :
Je te rejoins tout à fait sur ta critique d'un certain formalisme religieux (et non du formalisme en tant que tel car c'est un impondérable, ce qui est problématique c'est son excès, ou son dogmatisme) mais j'avoue qu'en ce qui concerne l'importance de la haqiqa je ne me sens pas assez calé ni pour te contredire ni pour te conforter ...

Soit, et pour la bibliographie, je te dresserai une liste si Dieu m'en donne les moyens !

Citation :
Non, à mon sens, la question ne se pose pas en ces termes (pouvoir par la religion et pouvoir par l'homme) mais comme une opposition entre un ultra-conservatisme qui se fait paradoxalement l'avocat de la défense des libertés individuelles et une ouverture, une flexibilité qui ouvre la porte, en l'absence de contre-pouvoir, à un despotisme toujours plus accru ...

Alors ! Alors alors ! Le schéma est général, général à outrance. Bien sûr, si tu donnes plus de souplesse à un homme d'Etat dans sa gestion de l'Etat, on finit par lui offrir la clé pour ouvrir les portes de l'autoritarisme. Mais cela est vérifiable partout, dans tous les systèmes politiques. La charia, dans ces conditions, et dans ton hypothèse de départ n'est rien de plus qu'un moyen parmi des milliers d'autres de canaliser l'enclin à l'autoritarisme. Et encore, je n'en suis même pas vraiment sûr car au sommet de l'autoritarisme, la charia peut en devenir le prétexte, regarde les Seoud, quel meilleur exemple !
Alors on s'éloigne de la réartition tripartite, on en revient à une équation politique finalement très simple, mais trop simple aussi, tu vois ce que je veux dire, c'est que le mot charia dans ce raisonnement là se remplace par n'importe quel autre terme, sauf si vraiment je n'ai rien compris. Mais le clientélisme est aussi une canalisation dans ces conditions, tu vois, c'est... Bon ! Recadre-moi ! Est-ce bien cela dont il s'agit, cette équation simple et universelle ?
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptySam 3 Fév - 22:36

Citation :
Alors ! Alors alors ! Le schéma est général, général à outrance. Bien sûr, si tu donnes plus de souplesse à un homme d'Etat dans sa gestion de l'Etat, on finit par lui offrir la clé pour ouvrir les portes de l'autoritarisme. Mais cela est vérifiable partout, dans tous les systèmes politiques. La charia, dans ces conditions, et dans ton hypothèse de départ n'est rien de plus qu'un moyen parmi des milliers d'autres de canaliser l'enclin à l'autoritarisme. Et encore, je n'en suis même pas vraiment sûr car au sommet de l'autoritarisme, la charia peut en devenir le prétexte, regarde les Seoud, quel meilleur exemple !

Justement, je pense qu'il y eut moins de "despotisme" dans l'Arabie historique que dans nombre d'Etats du monde musulman. En effet, l'importance du corps des ulémas (facteur de contre-pouvoir aux décisions du souverain), la vitalité du lien tribal, la sous-administration du pays et puis aussi, par rapport au sujet qui nous concerne, la rigueur de l'interprétation "shariatique", tout cela a crée des conditions telles, que l'on peut dire, paradoxalement, qu'un sujet de sa majesté le roi Faysal par exemple était en 1970 beaucoup plus à l'abri du despotisme qu'un citoyen tunisien ou égyptien, comprends tu ? Il possèdait plus de recourts face à l'administration, il pouvait en partie la court-circuiter en faisant appel à d'autres types de rapports de force

Cela était valable autrefois, beaucoup moins maintenant ...

Citation :
Alors on s'éloigne de la réartition tripartite, on en revient à une équation politique finalement très simple, mais trop simple aussi, tu vois ce que je veux dire, c'est que le mot charia dans ce raisonnement là se remplace par n'importe quel autre terme, sauf si vraiment je n'ai rien compris. Mais le clientélisme est aussi une canalisation dans ces conditions, tu vois, c'est... Bon ! Recadre-moi ! Est-ce bien cela dont il s'agit, cette équation simple et universelle ?

Fondamentalement, ce fil a pour hypothèse une idée assez simple ...

A savoir que, dans la structure même de l'islam, en tant qu'idéologie (ou système d'idées, ce qui n'est pas péjoratif), on retrouve (avec tous les guillemets possibles) le même paradoxe que celui que Engels avait mis en exergue à propos de l'hégélianisme : à savoir qu'elle est contre-révolutionnaire en apparence, mais révolutionnaire dans son essence ...

Ce que j'ai essayé d'affimer, c'est que la prophétologie, le formalisme dont tu parlais, la transcendance divine, etc. tous ces concepts bien connus offrent par définition une grande marge de manoeuvre à l'individu en tant qu'individu croyant, cela c'est l'aspect révolutionnaire ...

Il suffit d'observer à titre de contre exemple ce qu'a donné leur absence dans la pensée chinoise.

Ensuite, j'ai cherché à montrer en quoi cette liberté offerte à l'individu, cette égalité absolue des hommes en face de Dieu pouvait apparaître dans un bien des cas comme un moteur d'instabilité politique chronique ...

Après quoi, j'ai cherché à démontrer que cette instabilité avait été un facteur de despotisme car elle a forcé les pouvoirs à accentuer toujours plus leur contrôle faute de trouver jamais une légitimité absolue

Enfin j'ai cherché à dire qu'en face de ce despotisme, un respect accru de la loi religieuse et sa rigidification ont pu apparaître comme de bons expédients pour limiter l'arbitraire du pouvoir temporel

Et qu'en somme, il était peut être un peu naïf de plaquer toujours les mêmes grilles de lecture sur tout cela en opposant les "ouverts" et les "obtus" ...

J'en vois un bon exemple dans le soutien du petit peuple baghdadi à Ibn Hanbal en face des mutazilas proches du calife et de l'aristocratie ...

La grosse faille de cette argumentation, et je la reconnais bien volontiers, c'est qu'il s'est agit de processus principalement inconscients ...


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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyDim 4 Fév - 3:07

Salamou alaykoum

Pensée Khaldunienne : la religion est l'instrument par lequel le pouvoir étatique maintient en état de sujétion les hommes des tribus. C'est grâce à la vivification constante du souvenir religieux que l'on obtient l'obédience nécessaire à la construction, à l'expansion de l'Etat. Sitôt que les hommes se délaissent de la religion, ils se délaissent du souverain. Sitôt qu'ils se délaissent du souverain, ils créent l'esprit frondeur et la fronde, qu'est-ce ? Sinon une forme révolutionnaire ? Vois-tu, dans cet engagement intellectuel, Charia et Haqiqa sont mises au service du pouvoir pour sauvegarder l'Etat. La source se modèle en fonction de son contenant, c'est le formalisme religieux. Il n'y a pas de charia sans sultan, pas de haqiqa sans guide. Si des ulemas ou l'idéologie idéaliste de la religion laissent supposer par leurs écrits ou leurs actions que la charia est le contrebalancement concret du pouvoir despotique ou autoritariste du souverain, ces mêmes ulemas sont ceux qui ont modelé le contenu au contenant.

L'idéologie égalitaire de l'Islam, donnant à tous les individus la possibilité de se protéger de l'autoritarisme repose sur un principe de contre-défense pas d'une définition claire de la charia. Celle-ci est partisane ou adversaire, jamais elle ne porte qu'une casquette, comprends-tu ? La théorie d'Abderraziq, c'était de dire, non que l'Islam se lavait les mains de la politique, mais que l'Islam ne se définit pas par le formalisme. Charia et Haqiqa ne doivent pas être ce que les hommes en font. Là-dessus, je pense que nos avis ne sont pas si éloignés. Si tu pousses à fond la pensée d'Abderraziq, tu découvres que tout ce qu'il prêchait dans le fond, c'était que l'Islam se définit avant tout par des sources et non par des domaines d'exploitation. Et alors, oui, alors, la charia, la haqiqa et le pouvoir terrestre peuvent trouver une définition adéquate. Et alors, on peut revenir à ton équation, juste, même si simple.
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyDim 4 Fév - 22:34

Salam alikoum

Citation :
La source se modèle en fonction de son contenant, c'est le formalisme religieux. Il n'y a pas de charia sans sultan, pas de haqiqa sans guide. Si des ulemas ou l'idéologie idéaliste de la religion laissent supposer par leurs écrits ou leurs actions que la charia est le contrebalancement concret du pouvoir despotique ou autoritariste du souverain, ces mêmes ulemas sont ceux qui ont modelé le contenu au contenant.

J'irais encore plus loin que cela et c'est une bonne chose d'avoir cité l'exemple du Maroc classique. L'image du chef ultime au Maroc ne s'est définie qu'en fonction de trois critères complémentaires et indissociables : il dispose d'une puissante force de caractère, il a une ascendance cherifienne et il a vocation a purifier les hommes par la religion. La somme de ces trois critères crée donc le chef et sur cette somme s'est fixée la fabrication historiographique des chefs marocains : Idriss II mais aussi plus récemment Muhammad V.

Entendons bien ici que nous parlons d'images, c'est-à-dire de la représentation que les musulmans et, à fortiori les savants musulmans, ont du chef de la communauté. A partir de là, on comprend mieux cette disposition à penser que le chef en terre musulmane ne peut exercer de pouvoir équitable que sur la base de cette somme initiale. Sans cela, il est amené à se pencher plus d'un côté ou de l'autre et est donc plus enclin despotisme. Ce dont il est question, ici, c'est de l'intériorisation totale par l'homme arabe, qu'il soit savant ou chef, de cette conception tripartite du pouvoir. Sitôt que l'une de ses composantes basiques lui échappe, s'il est chef : il tombe dans le despotisme et le savant le condamne ; s'il est savant, il tombe dans la condamnation du monde terrestre et le chef le condamne.

Cela signifie que le discours de Abd95 ne reflète pas forcément une réalité empirique de la gestion du pouvoir étatique en terre musulmane mais bien plutôt la conception imagée que le musulman se fait de cette gestion. En fait, si cette intériorisation n'était pas aussi forte et globalisante, les chefs d'Etat arabes ne tomberaient peut-être pas si facilement dans le despotisme ou l'autoritarisme.
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyLun 5 Fév - 17:28

Salam

La volonté de pouvoir ne parvient à ses objectifs que lorsqu'elle rencontre une volonté symétrique d'obéissance ...

Le fondement du despotisme n'est donc pas politique mais avant tout social et culturel.

Les pratiques des dirigeants ne sont que le reflet accentué, démesuré, des pratiques quotidiennes des populations dont ils ont la charge ...

Une société patriarcale, violente, holiste, conservatrice, incapable de jamais se remettre en cause, prônant l'obéissance absolue de ses membres, cette société ne produira jamais un système politique démocratique ...

A la rigueur, seuls des impératifs économiques peuvent l'obliger à s'ouvrir un tant soit peu ...

La question est donc la suivante : cela étant donné, quel rôle peut jouer l'Islam ? Elle peut, ou bien accentuer ces pratiques, ou bien les atténuer, ou bien les combattre.
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyMar 13 Fév - 0:21

Haz a écrit:
Salam alikoum


J'irais encore plus loin que cela et c'est une bonne chose d'avoir cité l'exemple du Maroc classique. L'image du chef ultime au Maroc ne s'est définie qu'en fonction de trois critères complémentaires et indissociables : il dispose d'une puissante force de caractère, il a une ascendance cherifienne et il a vocation a purifier les hommes par la religion. La somme de ces trois critères crée donc le chef et sur cette somme s'est fixée la fabrication historiographique des chefs marocains : Idriss II mais aussi plus récemment Muhammad V.

Entendons bien ici que nous parlons d'images, c'est-à-dire de la représentation que les musulmans et, à fortiori les savants musulmans, ont du chef de la communauté. A partir de là, on comprend mieux cette disposition à penser que le chef en terre musulmane ne peut exercer de pouvoir équitable que sur la base de cette somme initiale. Sans cela, il est amené à se pencher plus d'un côté ou de l'autre et est donc plus enclin despotisme. Ce dont il est question, ici, c'est de l'intériorisation totale par l'homme arabe, qu'il soit savant ou chef, de cette conception tripartite du pouvoir. Sitôt que l'une de ses composantes basiques lui échappe, s'il est chef : il tombe dans le despotisme et le savant le condamne ; s'il est savant, il tombe dans la condamnation du monde terrestre et le chef le condamne.

Cela signifie que le discours de Abd95 ne reflète pas forcément une réalité empirique de la gestion du pouvoir étatique en terre musulmane mais bien plutôt la conception imagée que le musulman se fait de cette gestion. En fait, si cette intériorisation n'était pas aussi forte et globalisante, les chefs d'Etat arabes ne tomberaient peut-être pas si facilement dans le despotisme ou l'autoritarisme.

Salaou alaykoum

Haz... C'est brillant ! Brillant brillant brillant ! Tu veux que je te dise pourquoi ? Parce que tu es en train, sous nos beaux yeux curieux, de dresser un modèle ethnologique. Certaines recherches actuelles sur la base de corpus de lttres administratives, de compte-rendus militaires, de fiches et tout le reste visent à montrer comment les colonisateurs ont fabriqué des objets anthropologiques visant à détruire le pouvoir en place au Maroc. El-Boudrari, par exemple, travaille sur la construction de l'objet "confrérie" pour élaborer un modèle contre-productif, au désavantage du chef marocain.

Mais quand je te lis, je me dis, elle ! Elle est entrain de détruire ou alors de pousser dans des retranchements pas encore visités les recherches qui visent à rendre le colonisateur coupable coupable et encore coupable de toutes les constructions théoriques des objets constitutifs de la société marocaine. Parce que ce que tu dis, en somme, c'est que la construction de ces objets par les colonisateurs n'est pas seulement motivée par de mauvais desseins politiques, mais ausssi par cet effet miroir des représentations que les marocains ont fabriqué sur le portrait de leur chef. Les colonisateurs ne sont pas coupables d'avoir inventé des schemas transpoositionnels, ils se sont servis de ce qui se présentait à eux, à savoir cette image tripartite du chef de l'Etat : charismatique, cherifien, religieux. En analysant cette image, on peut très facilement comprendre comment le colonisateur s'est rendu coupable, non pas d'inventer les théories sur les tribus, mais d'avoir instrumentalisé la compréhension de cette répartition. C'est le colonisateur qui a donné au chef oriental les moyens de se débarrasser de l'une ou l'autre de ses composantes charismatiques pour devenir soit un fanatique, soit un despote mais jamais le chef idéal.

C'est-à-dire que Haz nous trouve une mission des colonisateurs qui mènent aux mêmes fins mais qui n'est pas menée sous les mêmes angles. Les colonisateurs coupables sont victimes des représentations arabes du chef et coupables d'avoir su les exploiter pour détruire le pouvoir local. Je répète, c'est brillant !
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyLun 12 Mar - 22:26

Essalem aleikom

Est-il possible de faire juste une parenthèse dans votre débat et d'exprimer quelques remarques concernant le premier discours d'Abd95 ? L'effet de balance créé entre le chef de la communauté musulmane, sultan, calife, bey etc et la loi islamique comme gage de sécurité du maintien de l'équilibre politique et moral de la société est une clé interprétative symbolique mais pas une finalité historienne parce que dans cette balance, il manque un nombre très important d'ingrédients historiques, en commençant par le plus lourd : le système tribal. L'Islam s'est très rapidement trouvé confronté à la persistance des traditions et des organisations sociales tribales qui expliquent, en très grande partie et pour une large zone territoriale de l'empire musulman, le rejet des politiques de faste et des politiques sociales du pouvoir centralisateur. Certes, de nouvelles modalités socio-religieuses se sont créées si bien que nous parlons sans gêne de sociétés musulmanes mais le détail des observations portées sur la période médiévale et la période antique de l'islam nous permettent de supposer que les califes n'ont pas manqué de tact religieux conduisant les générations suivantes au despotisme inévitable mais qu'ils ont manqué de lucidité quant au poids énorme des organisations sociales des systèmes tribaux des territoires conquis.

C'est une permanence de l'histoire arabo-musulmane. La figure du despote tient à cette mixité socio-religieuse : plus le système tribal résiste à la centralisation, plus le chef politique et religieux se montre intransigeant avec ses sujets et plus il essaie d'imposer une lecture particulière de la religion devant servir les intérêts de son rang. Il faut tenir compte de cet ingrédient historique et l'intégrer dans la réflexion première d'Abd95.
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MessageSujet: Re: Egalitarisme et despotisme, un lien possible ?   Egalitarisme et despotisme, un lien possible ? EmptyMar 13 Mar - 22:23

Salamou alaykoum

Talib, regarde ça :

Citation :
Pensée Khaldunienne : la religion est l'instrument par lequel le pouvoir étatique maintient en état de sujétion les hommes des tribus. C'est grâce à la vivification constante du souvenir religieux que l'on obtient l'obédience nécessaire à la construction, à l'expansion de l'Etat. Sitôt que les hommes se délaissent de la religion, ils se délaissent du souverain. Sitôt qu'ils se délaissent du souverain, ils créent l'esprit frondeur et la fronde, qu'est-ce ? Sinon une forme révolutionnaire ? Vois-tu, dans cet engagement intellectuel, Charia et Haqiqa sont mises au service du pouvoir pour sauvegarder l'Etat. La source se modèle en fonction de son contenant, c'est le formalisme religieux. Il n'y a pas de charia sans sultan, pas de haqiqa sans guide. Si des ulemas ou l'idéologie idéaliste de la religion laissent supposer par leurs écrits ou leurs actions que la charia est le contrebalancement concret du pouvoir despotique ou autoritariste du souverain, ces mêmes ulemas sont ceux qui ont modelé le contenu au contenant.

Tu es un khaldunien avoue-le !
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