Les spécialistes du comportement animal savaient que les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d'Ivoire) cassent des noix en frappant de grosses pierres sur des enclumes de bois. Mais ils ignoraient que cette activité remonte, au moins, à 4 300 ans, comme vient de le montrer une équipe associant Julio Mercader (université de Calgary, Canada) et Christophe Boesch (primatologue au Max Planck Institute à Leipzig, Allemagne).
Les deux chercheurs décrivent cet "âge de la pierre chez les chimpanzés" dans les Proceedings of the National Academy of sciences (PNAS) du 12 février. Selon eux, cette culture se serait transmise "sur plus de deux cents générations". Ils émettent aussi l'hypothèse - audacieuse - qu'elle aurait été inventée il y a bien plus longtemps, non par les ancêtres de l'homme moderne, mais par un groupe commun aux hominidés et aux chimpanzés.
Les chercheurs ont étudié trois sites de la forêt de Taï, en utilisant des techniques archéologiques. Ils ont mis en évidence, à dix mètres de profondeur, des pierres de dimensions et de composition variées, sur lesquelles étaient incrustés des restes d'amidon provenant de noix d'origine locale. La grosseur des pierres, bien plus importante que celle des outils lithiques fabriqués par la main humaine, les débris de noix retrouvés et les restes d'amidon, qui ne correspondent pas aux plantes consommées par les humains de la région il y a 4 300 ans, plaident pour une origine animale de ces "outils".
Sabrina Krief, spécialiste du comportement des chimpanzés au Muséum national d'histoire naturelle, juge cette étude "convaincante". On connaît différents groupes de chimpanzés qui, à faible distance l'un de l'autre, n'utilisent pas les mêmes outils. Ils privilégient selon les cas les pierres ou les branches pour attraper les termites, par exemple. "Il semble probant qu'il y a eu transmission culturelle d'un savoir-faire", estime-t-elle.
En revanche, l'idée que la technique de percussion aurait été inventée par un ancêtre commun hominidé chimpanzé (au moins 7 millions d'années) fait bondir d'indignation Hélène Roche, préhistorienne au CNRS (Maison de l'archéologie et de l'ethnologie de Nanterre). "Pourquoi minimiser l'apport de l'homme, demande-t-elle, alors que la taille de la pierre reste une fonction qui lui est spécifique et qui remonte à 2,6 millions d'années ?" Par ailleurs, ajoute-t-elle, "on n'a jamais observé dans le monde sauvage des animaux modifiant un matériau dur à l'aide d'un percuteur". Cette querelle de spécialistes laissera indifférents les chimpanzés, pour qui le temps presse. Ceux de la forêt de Taï, comme ailleurs, disparaissant à grande vitesse.
Christiane Galus
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