Quel débat autour de l’islam ?
Le débat autour de l’islam et de l’islamisme est plus vif que jamais en France. « Peut-on encore critiquer l’islam ? » était le titre d’un de mes précédents envois, qui comportait une suite. J’y suis aussi revenu dans « La peur de l’islam ». Il est bien évident que les polémiques se poursuivent et qu’elles se poursuivront. Dans ce contexte, l’intervention de l’écrivain hollandais Ian Buruma, dans Le Monde du 28 février, « Combattre l’intégrisme, mais sans alarmisme »en réponse à Pascal Bruckner (« Pour en finir avec le multiculturalisme, » Le Monde, 19 février) est importante. Je ne partage pas forcément toutes les opinions défendues par lui, mais son texte me semble important car il est animé par la raison, par la volonté de débattre, et non par l’hystérie qui caractérise souvent les discussions sur l’islam. Il met aussi en lumière les amalgames et surtout la volonté d’assimiler tous ceux qui ne pensent pas comme lui à des fascistes déguisés.
En voici quelques extraits.
« Dans une autre exagération typique, visant à salir par association, Pascal Bruckner évoque l’ouverture d’un hôpital islamique à Rotterdam et l’établissement de plages réservées aux femmes musulmanes en Italie. Je ne vois pas en quoi cela est plus choquant que d’ouvrir des restaurants casher, des hôpitaux catholiques ou d’instituer des plages pour nudistes, mais pour M. Bruckner ces concessions équivalent à la ségrégation dans les Etats du sud des Etats-Unis, voire à l’apartheid en Afrique du Sud. Et M. Bruckner d’en conclure que je suis raciste. » (...)
Il y a quelque chose de délicieusement désuet, et même de rafraîchissant, dans la fierté proclamée par Pascal Bruckner de la "supériorité du modèle français". Je concède volontiers qu’il y a beaucoup de choses à admirer dans la France et dans son "modèle". Pourtant, l’idée de M. Bruckner selon laquelle l’Etat devrait intervenir sur le terrain du dogme ou dans l’interprétation des textes sacrés me paraît douteuse. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles il serait souhaitable que les musulmans, comme les autres croyants, se sentent libres de réinterpréter leurs textes religieux, et que chacun d’entre nous puisse remettre en question les dogmes. Mais ce n’est certainement pas l’affaire de l’Etat, car cela conduit tout droit à l’autoritarisme. »
« Au fond, qu’est-ce que M. Bruckner propose de faire concernant les millions de fidèles musulmans vivant en Europe ? Leur dire comment interpréter leurs textes saints ? Les forcer à suivre l’exemple d’Ayaan Hirsi Ali et à renoncer à leur foi ? Peut-être en effet serait-il préférable qu’ils le fassent, mais de leur propre volonté. Attendre de l’Etat qu’il les y contraigne ne correspond pas tout à fait à l’image de combattant éclairé de la liberté que se donne Pascal Bruckner. »
« Un trait caractéristique des procédés polémiques de M. Bruckner est le recours fréquent aux termes d’"apaisement" et de "collaborateur". Cet usage est rarement innocent. L’idée est d’associer aux collaborateurs des nazis ceux qui cherchent un accommodement avec la majorité des musulmans. Sauf à vouloir seulement se montrer blessant, cela ne peut que signifier que M. Bruckner voit l’émergence de l’islamisme comme un phénomène comparable à la montée du nazisme. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Même si je perçois les dangers de l’islamisme, je considère cette vision comme excessivement alarmiste. »
Il est évident que Pascal Bruckner, défenseur de la guerre en Irak, rallié à Nicolas Sarkozy se situe dans une autre perspective. Dans un entretien au quotidien Le Matin de Lausanne de fin octobre 2006, il affirmait son soutien aux mesures anti-immigrée du gouvernement suisse, ce que rappelle le quotidien Libération du 11 novembre : « Rarement à court d’un mot polémique, l’essayiste français Pascal Bruckner a défendu, dans une interview à l’édition dominicale du Matin de Lausanne, fin octobre, le durcissement des lois suisses sur l’immigration, approuvé fin septembre par référendum. Durcissement qui met pratiquement fin à toute possibilité de regroupement familial et verrouille le droit d’asile. "La Suisse montre la voie à l’Europe, estime Pascal Bruckner. C’est une question de bons sens. Commençons par intégrer nos immigrés, par [...] en faire de vrais Suisses, de vrais Français ou de vrais Espagnols, avant d’en laisser entrer d’autres." La réforme, qualifiée d’"insulte aux droits humains les plus élémentaires" par la gauche, était un des grands projets du ministre de la Justice et de la Police, Christoph Blocher, l’homme fort des populistes de l’Union démocratique du centre, devenue en 2003 le premier parti du pays."
http://blog.mondediplo.net/2007-02-28-Quel-debat-autour-de-l-islam